dimanche 25 mars 2012

Elle et le Black Fashion Power (3/10) Retour sur une polémique



Eppur si muove ! (Galileo Galilei)

Comme un procès de la Sainte Inquisition !


Retour sur une tentative de..., comment dirai-je, de lynchage médiatique. Rarement magazine féminin - et pourtant, il y en a, des magazines féminins en France ! - aura provoqué une telle efferfescence. Il faut y voir la nouvelle toute-puissance de l'Internet : le magazine paraît à la mi-janvier, et c'est en février que les internautes se réveillent, parce qu'ils sont tombés sur la version électronique du papier. Et voilà ce magazine prestigieux contraint de faire amende honorable, de devoir battre sa coulpe, le tout sous la forme de procès publics, ce que j'ai trouvé, pour ma part, quelque peu excessif. Ci-dessous, mon commentaire sur les mises au point de Valérie Toranian, rédactrice en chef, et de Nathalie Dolivo, auteur de l'article controversé.



Suite aux vives réactions et aux  nombreux commentaires suscités par l'article  Black Fashion Power, nous avons décidé de le retirer du site (01). Si cet article a  pu choquer ou blesser certaines personnes nous en sommes profondément désolés  car ce n'était nullement notre intention, au contraire. Nous regrettons vivement  ce malentendu.  Le débat a néanmoins été lancé et il va nous permettre  d'enrichir notre travail journalistique. A bientôt donc sur ELLE.fr et dans ELLE pour  poursuivre cette discussion.

Valérie Toranian, Directrice de la rédaction de ELLE



La réponse de Nathalie Dolivo

Depuis la parution en ligne sur le Elle.fr de mon papier titré « Black fashion power », les commentaires sont nombreux. Souvent virulents, voire violents et insultants. J’en suis extrêmement peinée car ils relèvent pour moi du contre-sens (02). Ils témoignent en tout cas d’un profond malentendu dont je suis tout à fait désolée. Je voudrais dire, comme l’a déjà fait Valérie Toranian, la directrice de notre rédaction, que le propos n’était pas de choquer, de blesser ou de stigmatiser qui que ce soit. Au contraire, l’article se voulait positif : il s’agissait de mettre en avant ces nouvelles figures qui affolent et fascinent l’industrie de la mode et de l’entertainment, du show-business (03). Sans vouloir m’attarder sur les commentaires me traitant d’ « idiote » ou d’« inculte », je voudrais donc redire plusieurs choses sur le fond de mon papier :

1. L’article porte majoritairement sur un phénomène américain (04). Son point de départ ? Des célébrités qui évoluent dans la mode, la musique, le cinéma (04bis). Cet article ne se veut pas la description d’un phénomène social qui concernerait toutes les femmes noires, d’Amérique ou de France (04ter). C’est un sujet qui évoque d’abord l’industrie de la mode et le show business américain (04quater).

2. L’article se voulait positif et je suis attristée qu'il ait été mal interprété. En réalité, quand j’évoque les codes blancs, je fais référence aux codes classiques de la bourgeoisie blanche (05) américaine (références culturelles que je cite plus tard dans l’article : la Ivy League, les Hamptons, la côte Est, les looks à la Tommy Hilfiger/Ralph Lauren, etc.).

Mais pour dire que les filles dont je parle (06) s’en sont inspirées pour mieux les enrichir. Que ce n’est pas du copié-collé, justement.

Je voulais aussi souligner dans l’article que l’on était passé d’une domination de l’esthétique R’n’B à un engouement pour l’allure d’une Michelle Obama (07). Évidemment que toutes les femmes noires d'Amérique n’étaient pas habillées jusque-là en baggy et baskets. Il s’agissait juste de mettre en avant les représentations dominantes (08) dans le paysage culturel actuel aux Etats-Unis.

J’ai aussi cité un certain nombre de figures noires importantes dans l’histoire esthétique et culturelle de la communauté afro-américaine (le Cotton Club, Angela Davis, Sly and the Family Stone, etc.). Preuve que pour moi, le style commence bien avant le mandat Obama (09).

3. L’article voulait montrer également que les figures que l’on appelle aux Etats-Unis les « role models », les prescriptrices, celles qui sont suivies et donnent le ton d’une époque par le biais de la culture, avaient changé. Que nous étions passé, dans l’imagerie de cette culture populaire (les clips, les actrices, les it girls) de Lil Kim, Missy Elliott, Beyoncé, etc. à Solange Knowles, Michelle Obama ou Zoe Saldana. Que ces femmes étaient devenues des icônes mainstream (10), transcendant justement les frontières raciales puisqu’adulées par les noirs, les blancs, les latinos. Ça me paraissait intéressant et positif. Je n’ai à aucun moment voulu heurter quiconque. Encore une fois j’en suis sincèrement désolée. Tout ce malentendu nous prouve qu'il faut poursuivre le débat, échanger, être à l’écoute.

Nathalie Dolivo



Mon commentaire

01. Suite aux vives réactions et aux  nombreux commentaires suscités par l'article  Black Fashion Power, nous avons décidé de le retirer du site.

La directrice de la rédaction du magazine Elle a fait preuve de courage et de ténacité en acceptant quasiment d'être jugée en place publique, notamment à la télévision (cf. Canal Plus, Le Grand Journal). Je regrette personnellement qu'elle ait fini par céder à la pression, dans la mesure où l'article avait été imprimé un mois plus tôt. Certes, l'édition de janvier n'était plus en kiosque. Mais elle n'en avait pas disparu pour autant, puisque j'ai pu en faire l'acquisition. Par ailleurs, j'espère bien qu'en lisant ma prose, Mme Toranian regrettera son coup de ciseaux quelque peu intempestif !

02. J’en suis extrêmement peinée car ils relèvent pour moi du contre-sens.

Pour preuve, du côté du collectif anti-négrophobie, ils ont bien dit que l'article partait d'un bon sentiment et qu'on n'y trouvait aucun racisme apparent.

03. Le propos n’était pas de choquer, de blesser ou de stigmatiser qui que ce soit. Au contraire, l’article se voulait positif : il s’agissait de mettre en avant ces nouvelles figures qui affolent et fascinent l’industrie de la mode et de l’entertainment, du show-business.

Nouvelles figures qui affolent et fascinent... C'était pourtant évident. Le tout décliné sur un mode "entertaining" pour parler comme Nathalie Dolivo, qui adore les termes branchés !

04. L’article porte majoritairement sur un phénomène américain. Son point de départ ? Des célébrités qui évoluent dans la mode, la musique, le cinéma (04bis). Cet article ne se veut pas la description d’un phénomène social qui concernerait toutes les femmes noires... (04ter). C’est un sujet qui évoque d’abord l’industrie de la mode et le show business américain (04quater)

J'ai lu sur un forum que, s'agissant de femmes américaines, on ne comprenait pas la présence de la Malienne Inna Modja. Or le papier concernait des icônes parmi des artistes de la jeune génération, et pas qu'américaines, comme Dolivo l'a fort bien expliqué. Par ailleurs, la coupe de cheveux "afro" est la passerelle idéale par laquelle les femmes noires de l'autre côté entendent (ré)afficher leurs origines africaines !

05. Quand j’évoque les codes blancs, je fais référence aux codes classiques de la bourgeoisie blanche américaine. 

Une évidence que l'on pourrait exprimer par un terme (anglais) particulièrement approprié : "mainstream", utilisé du reste par Nathalie Dolivo.

06. Les filles dont je parle s’en sont inspirées - des codes blancs - pour mieux les enrichir.

Non mais quel scandale d'avoir osé affirmer des choses pareilles, à croire que les Afro-américaines branchées n'ouvrent jamais Vanity Fair ou Vogue, des références en la matière ! Et si elles consultent ces magazines, c'est pour les balancer dans une poubelle d'un air méprisant !

07. L’on était passé d’une domination de l’esthétique R’n’B à un engouement pour l’allure d’une Michelle Obama.

Olivier Cachin confirme. Du reste, il suffit de visionner les clips des rappeurs mâles que sont Snoop Doog et autres 50 Cent, mais la liste est longue, avec toutes ces bimbos très dénudées. Et certaines femmes ne sont pas en reste ; voyez certaines prestations de Rihana ! J'aurais néanmoins une réserve en ce qui concerne Michelle Obama.

08. Évidemment que toutes les femmes noires d'Amérique n’étaient pas habillées jusque-là en baggy et baskets. Il s’agissait juste de mettre en avant les représentations dominantes dans le paysage culturel actuel aux Etats-Unis.

Rapport au poids considérable des vedettes sportives noires ainsi que de nombreux artistes du hip-hop. Sur une chaîne musicale, j'ai découvert, un jour, une marque de champagne dans une bouteille rose, absolument inconnue au bataillon, et qui a vu ses ventes exploser littéralement aux Etats-Unis après la parution d'un clip de rap dans lequel on voyait la bouteille... Ne parlons pas de Michael Air-Jordan ou de Puff Daddy, plus célèbre (et plus riche) apparemment comme créateur de mode que comme rappeur...

09. Nombre de figures noires importantes dans l’histoire esthétique et culturelle de la communauté afro-américaine... (le Cotton Club, Angela Davis, Sly and the Family Stone, etc.). Preuve que pour moi, le style commence bien avant le mandat Obama.

Je confirme. À ceci près que Michelle Obama est d'une génération bien antérieure à celle des Rihana et autres Saldana. Ce qui veut dire que la cible éventuelle de la First Lady ne saurait être la même que celle de la très délurée Nicki Minaj !

10. Que ces femmes étaient devenues des icônes mainstream.

C'est bien pour ça que j'aurais préfèré parler de codes mainstream plutôt que de codes blancs, la mode étant un phénomène conjoncturel, donc mouvant.

Pour conclure provisoirement le débat, je dirais que l'élève Toranian peut mieux faire ! La seule chose que je puisse lui reprocher c'est ce coup de ciseaux bien navrant et qu'on croyait réservé aux médias soviétiques ou nord-coréens ! Je lui accorderai quand même la moyenne, soit 12/20.

Quant à l'article de Nathalie Dolivo, je lui consacre un chapitre entier : le prochain...


Prochain épisode : Imbécile et raciste ?