dimanche 25 mars 2012

Elle et le Black Fashion Power (4/10) Retour sur une polémique



Imbécile et raciste ?


L'article de Nathalie Dolivo dans Elle sur le phénomène dit Black Fashion Power est-il imbécile et raciste comme l'a affirmé Audrey Pulvar sur France Inter ?  J'ai passé suffisamment de temps sur ce papier pour affirmer le contraire. Du reste, il semble que le racisme en question ne soit pas avéré, mais simplement "inconscient", ainsi qu'il a pu être affirmé ici ou là. Vous m'en voyez mort de rire !

Là encore, je me suis amusé à triturer le papier de Dolivo, comme je l'ai fait pour d'autres contributions à ce débat. Ci-dessous, le fameux article annoté par mes soins, suivi de mes commentaires. Je réserve aux lecteurs et lectrices une petite surprise pour la fin.


Black Fashion Power

Le « red carpet » ? Appellation dépassée ! Ces derniers temps, l'heure est au « black carpet (1) ». Une génération de jeunes femmes noires, souvent afro-américaines, truste en effet les premières places du baromètre fashion mondial (2). Et le phénomène est sans précédent. En haut de l'affiche, la bombe manga Nicki Minaj a provoqué une véritable défla­gration : ses looks explosifs, ses mix improbables, ses che­veux pink ont mis le feu au fash pack (1). Ils rendraient Lady Gaga presque fadasse en comparaison et font se pâmer les rédactrices de mode, la puissante Anna Wintour au premier chef. Mais Nicki est loin d'être la seule à faire tourner les têtes branchées. Voici Janelle Monáe, petite silhouette androgyne et fifties toujours affublée d'un costard, d'une banane rockab' et d'une sage chemise preppy (1). Sa musique soul fait danser les foules et son allure fascine Karl Lagerfeld. Et puis Solange Knowles, sœur de Beyoncé, qui, à la différence de son aînée, maîtrise parfaitement les codes les plus pointus du moment. Sa spécialité ? Un savant dosage d'ethnique et de preppy qui la rend irrésistible. Sa noto­riété, elle la doit plus à son sens du style qu'à sa musique. Citons aussi Kelly Rowland, ex-Destiny's Child, et Azealia Banks, rappeuse de Harlem et sensation du moment, qui a su imposer son cocktail régres­sif : sweat-shirt Mickey, nattes de petite fille, microshorts. Zoé Saldana, actrice, tient égale­ment parfaitement son rang. Rihanna, quant à elle, est loin d'avoir pris sa retraite mode et continue d'être in. Elle vient d'ailleurs de signer une mini­collection avec Armani et la moindre de ses apparitions est scrutée à la loupe. La liste exhaustive serait trop lon­gue... « Voilà une génération de filles qui s'expriment par autre chose que par les codes du sexy (3), note Olivier Cachin*, fin spécialiste des musiques blacks et de la culture afro-américaine. On est sorti des références bling du R'n'B et du hip-hop de ces dernières années. Ce sont des filles à forte personnalité qui ne sont pas un plaqué de fantasme masculin. » À leur insu (4), elles sont donc peut-être (4bis) en train de réinventer le « girl power (1) » et d'envoyer bouler leurs mentors hip-hop, ceux qui avaient tant de mal à voir les filles autrement que comme des potiches en string et décolleté (3bis). « Aujourd'hui, je veux avoir l'air pointu, différente et inattendue » (4bis), confiait récem­ment Rihanna au journal « The Observer », illustrant cette volonté de se démarquer (4ter) par le vêtement.

Dans une société obsédée par l'image, ces filles ont donc compris, mieux que quiconque, l'importance du look (5). On pourrait même dire que, pour la communauté afro, le vêtement est devenu une arme politique (6). Jon Caramanica, journaliste au « New York Times », affirmait récemment dans un article consacré à cette renaissance noire que « ce retour au style constituait pour la communauté noire une source de dignité ».

Comment ne pas y voir l'effet du cou­ple Obama ? Dans cette Amérique dirigée pour la première fois par un président noir, le chic (7) est devenu une option plausible pour une communauté jusque-là arrimée à ses codes streetwear (9). La First Lady Michelle donne le ton (8), misant sur des marques pointues, transcendant les robes trois trous, revisitant en mode jazzy le vestiaire de Jackie O. (8bis). 

Bref, l'audace et la créativité se sont réveillées (10 : de qui ?), le preppy a de nouveau droit de cité. Comme dans les années 30, le mouvement Cotton Club, les costumes de jazzmen et les robes charleston (10bis). Et dans les années 60, le combat pour les droits civiques, le black power, la classe ineffable et inégalée d'une Angela Davis (10ter).

Mais, si, en 2012, la « blackgeoisie » (11) a intégré tous les codes blancs, elle ne le fait pas de manière littérale. C'est toujours classique avec un twist, bourgeois avec une référence ethnique (un boubou en wax, un collier coquillage, une créole de rappeur...) qui rappelle les racines. C'est décalé, nouveau, désirable, puissant. « En cette période de crise mondiale, il y a un vrai besoin de fun et de créativité (12), reprend Olivier Cachin. Des Nicki Minaj ou des Janelle Monáe, originales et fortes visuellement, qui répon­dent totalement à cet air du temps difficile et anxiogène, en sont comme l'antidote. » (13)

Les voilà donc icônes d'aujourd'hui. La mode les fait reines, assouvissant ainsi son besoin constant de se renou­veler. Lorsque les tendances patinent, la fashion se tourne toujours vers la rue (14 Obama ou la rue ?). Ce fut le cas dans les années 80, les défilés Gaultier, la culture Benetton, le début du hip-hop. C'est de nou­veau le cas : la rue, et la culture afro en parti­culier, semblent constituer un inépuisable vivier d'idées.(15) « A New York, explique Sylvia Jorif, chef des infos mode à ELLE, le phénomène est fou ! Une classe moyenne noire a émergé et joue avec la mode (15 bis). [pas nouveau] Ce sont bien souvent des looks désuets, vintage, avec une connotation artistique et musicale (15 ter). Tout est toujours un peu exagéré : le dress code Hamptons (1) est +++, le vestiaire Ivy League (1) est boosté. C'est souvent drôle mais jamais ridicule. Et ce sont de formidables leçons de style ! » On n'a pas fini de s'inspirer de ce fashion black power (16 = racisme ?) ! n.do.
* Auteur de « Prince, Purple règne » [éd. Fetjaine].


L'AFRO EN TÊTE
Emblème de cette tendance, l'afro fait un retour en force sur la tête des filles les plus lancées. Inna Modja ou Solange Knowles ont réhabilité ce qui était jusque-là marqué du sceau des 60's. Comment oublier Angela Davis ? On pense aussi à Diana Ross ou à Sly and the Family Stone. Aujourd'hui, les filles à afro s'appellent des « nappies », soit la contraction de « naturel » et de « hippy ». C'est un retour aux sources de la beauté noire. Une manière d'affirmer son refus de tout ce qui contraint la femme noire : lissage, blanchiment. Elles sont blacks et fières de l'être ! (17)

JULIA SARR-JAMOIS LA IT GIRL QUI BUZZE
Ces dernières fashion weeks, on ne voyait qu'elle : Julia Sarr-Jamois n'a que 23 ans et s'est imposée en quelques mois. Elle pourrait être mannequin, mais elle est rédactrice de mode pour le magazine britannique et fashionissime « Wonderland ». Et, avec elle, le défilé est... devant les défilés ! (17/18)



Des commentaires ?

01. Red carpet, black carpet, preppy, fash pack, Ivy League, Hamptons...

Question de forme : j'avoue avoir été prodigieusement agacé par tous ces termes que je suppose "branchés", donc forcément en anglais ! Et là, j'ai pensé à l'âge moyen du lectorat de Elle, qui doit être plus près des quarante que des vingt ans... Disons qu'il a manqué un petit lexique à la fin du papier, voire des liens hypertexte dans le corps de l'article (mais peut-être y en avait-il sur l'article en ligne désormais obsolète... C'est précisément ce que j'ai fait plus bas.). C'est le principal reproche que je ferais à Nathalie Dolivo, de se l'être joué un peu trop branché. 

02. Premières places du baromètre fashion mondial

On en vient au sujet même du papier, sujet que je n'ai retrouvé quasiment nulle part, tout le monde ayant oublié de quoi il retournait dans cet article !

03. Voilà une génération de filles qui s'expriment par autre chose que par les codes du sexy .(...) ceux qui avaient tant de mal à voir les filles autrement que comme des potiches en string et décolleté (3bis).

Pour s'en convaincre, il suffit de visionner des vidéos de rap ; je pense, entre autres, à Snoop Dogg. C'est simple, il y a des bimbos dans tous les coins. Cela dit, les vidéos de Rihanna, c'est pas mal non plus, dans le genre "déshabillé".

04. À leur insu, elles sont donc peut-être (4bis) en train de réinventer le « girl power » . (...) je veux avoir l'air pointu, différente et inattendue » (4bis) (...) illustrant cette volonté de se démarquer (4ter) par le vêtement. 

Là, il y a des choses avec lesquelles je ne suis pas forcément d'accord ! À leur insu ? Ça m'étonnerait ! D'autant plus que la déclaration de Rihanna s'inscrit en faux contre cette thèse... illustrant cette volonté de se démarquer par le vêtement.

05. Dans une société obsédée par l'image, ces filles ont donc compris, mieux que quiconque, l'importance du look. 

Donc ça ne peut pas se faire à leur insu ! Observons, en passant, que cette culture du look repose essentiellement sur l'envie de se démarquer, de ne pas ressembler au voisin ou à la voisine, ce qui, suprême paradoxe, n'empêche nullement que des communautés entières de jeunes s'affichent dans le même uniforme (Diesel, Chevignon, Nike, Reebok, Sergio Tacchini, etc.). Par ailleurs, quand une Rihanna lance une collection avec Armani, elle se doute bien qu'en cas de succès, plein de filles risquent de se retrouver dans la rue avec le même accoutrement griffé "Rihanna". Bonjour l'originalité !

06. On pourrait même dire que, pour la communauté afro, le vêtement est devenu une arme politique. 

Et il n'y a pas que la communauté afro. Chez les Amérindiens, il y avait déjà les peintures de guerre. Dans d'autres peuples, on a des scarifications rituelles par lesquelles l'individu affiche son statut. Il y a encore les codes affichés par le port du foulard chez les Antillaises... Le vêtement est bel et bien un outil de la communication non verbale, et l'affirmation politique ou sociale peut très bien être intégrée dans cette communication (cf. les punks, gothiques, skin heads...).

07. Comment ne pas y voir l'effet du cou­ple Obama ? Dans cette Amérique dirigée pour la première fois par un président noir, le chic est devenu une option plausible. 

Question : quel est l'âge de Michelle Obama, déjà ? Et celui de Rihanna, Solange Knowles ? L'effet du couple Obama ? Certainement pas sur la jeune génération, et encore moins sur les icônes visées par l'article. Reste la "blackgeoisie", disons les quadra- et quinquagénaires : juristes, médecins, "executive women", cadres, etc. Pour cette génération, Michelle Obama est certainement une icône, ne serait-ce qu'en raison de sa forte exposition médiatique et du coup de pouce qu'elle pourrait donner aux designers qui l'habillent (pensons, dans un tout autre registre, à Thierry Muggler, popularisé par Jack Lang.).

08. La First Lady Michelle donne le ton, misant sur des marques pointues, transcendant les robes trois trous, revisitant en mode jazzy le vestiaire de Jackie O.  

N'ayant pas les moyens ni le temps de vérifier le parallélisme entre Michelle Obama et Jackie, j'observerai simplement que, pour des raisons générationnelles, il est plus facile à Michelle Obama de prendre pour référence une Jackie plutôt qu'une Nancy Reagan ou Betty Ford ! Mais par ailleurs, il me semble que le 'K' de Kennedy aurait été plus indiqué que le 'O' d'Onassis, Jackie O. ayant quasiment disparu des écrans-radars de la société américaine après l'assassinat de J.F.K.

09. Pour une communauté jusque-là arrimée à ses codes streetwear.

Pas d'accord ! Le street-wear, c'est surtout l'uniforme d'une génération : les jeunes, et non la référence de toute ladite communauté noire.

10. Bref, l'audace et la créativité se sont réveillées.

Oui, pas chez tout le monde mais plutôt chez des artistes qui, quelque part, créent leur propre style au lieu de se contenter d'acheter des fringues estampillées sur le plan commercial. Et comme le souligne Dolivo, les marques ne sont qu'à la remorque du mouvement (cf. 14).

11. Mais, si, en 2012, la « blackgeoisie » a intégré tous les codes blancs, elle ne le fait pas de manière littérale. 

S'agissant de références mouvantes (la mode, ça va, ça vient.), bien plus que "blancs", les codes me semblent être surtout "in" ou dans le vent, en clair, ce qui se vend. Des Blancs pas du tout concernés par ces codes vestimentaires, les États-Unis en regorgent : Amish, Mormons, habitants du grand Sud, Juifs traditionnalistes de Brooklyn et d'ailleurs, retraités de Floride, surfeurs californiens, etc.

12. En cette période de crise mondiale, il y a un vrai besoin de fun et de créativité, reprend Olivier Cachin. 

Exact, à ceci près que le fun et la créativité sont bien plus l'apanage de la rue que des classes bourgeoises.

13. Des Nicki Minaj ou des Janelle Monáe, originales et fortes visuellement, qui répon­dent totalement à cet air du temps difficile et anxiogène, en sont comme l'antidote. 

Précisément, ces filles qui cherchent à se réaliser et à être reconnues publiquement, au besoin moyennant toutes les extravagances, n'ont précisément que peu d'accointances (vestimentaires) avec une Michelle Obama.

14. Les voilà donc icônes d'aujourd'hui. La mode les fait reines, assouvissant ainsi son besoin constant de se renou­veler. Lorsque les tendances patinent, la fashion se tourne toujours vers la rue.

Où l'on voit que la référence à Obama n'était pas forcément justifiée sur ce terrain précis : la fashion qui se tourne vers la rue.

15. C'est de nou­veau le cas : la rue, et la culture afro en parti­culier, semblent constituer un inépuisable vivier d'idées. (...) Une classe moyenne noire a émergé et joue avec la mode (15 bis). (...) des looks désuets, vintage, avec une connotation artistique et musicale (15 ter).

Classe moyenne, rue, connotation artistique, inépuisable vivier d'idées... Pour reprendre le mot de Cocteau, "la mode, c'est tout ce qui se démode", mais c'est aussi tout ce qui se recycle. On n'hésite donc pas à donner dans le désuet et le vintage, mais revisités. Et puis, ce sont des artistes, qui ont les moyens de leurs délires, sans jamais oublier d'où ils/elles viennent. Et à chaque fois qu'il est question de la rue, le hip-hop n'est jamais bien loin.

16. Et ce sont de formidables leçons de style ! On n'a pas fini de s'inspirer de ce fashion black power.

Voilà le genre d'affirmation que Pulvar and Co doivent avoir trouvée "imbécile et raciste" !

17. Une manière d'affirmer son refus de tout ce qui contraint la femme noire : lissage, blanchiment. Elles sont blacks et fières de l'être ! 

Bien observé car très important ! Je pense même que c'est là que réside l'essentiel, parce que si une Rihanna est avant tout obnubilée par sa carrière naissante et pense d'abord à accroître son collège de fans, ce en quoi, pour ma part, je la vois mal se profiler longtemps en icône noire - il suffit de la regarder ! -, d'autres, en revanche, semblent avoir fait la part de l'accessoire et de l'essentiel - (cf. Erykah Badu) en sortant des sentiers battus pour revendiquer et afficher leur différence. Et dans "essentiel", il y "essence", c'est-à-dire tout le contraire d'un accessoire. Il se trouve que les vrais cheveux ne sont pas à ranger dans la catégorie "accessoires vestimentaires" !


18.  (...) rédactrice de mode pour le magazine britannique et fashionissime « Wonderland ». Et, avec elle, le défilé est... devant les défilés ! 




Et voilà : cette fille qui devient, si jeune, rédactrice dans un magazine "fashionissime", s'affiche telle quelle, quand d'autres, avec moins de personnalité sans doute, auraient tout fait pour gommer leur "exotisme", dans un réflexe imbécile d'auto-dénigrement et d'auto-censure, l'auto-dénigrement étant le moteur principal de la schizophrénie qui voit des villageoises du fin fond de la brousse africaine arborer sur la tête des perruques de toutes les couleurs fabriquées on ne sait où, quand ce ne sont pas des bouts de chevelure ravagés par les produits chimiques ou le fer à défriser. Tout ça pour ne pas être soi-même ! Et par voie de conséquence, une coupe "afro", à Londres, Paris, New York..., par les temps qui courent, ça vous classe une femme en la singularisant, par rapport à tous ces clones défrisés et sans originalité qui hantent les rues du monde entier !


Vous voulez que je vous dise ? Je me suis bien amusé à la lecture de cet article de Nathalie Dolivo, qui est un bon papier (1) sur un sujet un peu léger mais parfaitement adapté au support qui l'édite : un magazine de mode. Pourquoi vouloir en faire un essai sur la condition de la femme noire ou une thèse de sociologie ? Et si je devais lui attribuer une note, je lui aurais bien mis un 15/20, mais il y a tout ce jargon anglo-branché qui m'a agacé au début. J'ai, donc, opté pour un 13/20. Cela dit, c'est un bon papier, et en tout cas le premier de cette catégorie qui ait justifié un tel investissementde ma part. La faute à Audrey Pulvar ! 

Photo retouchée


Et maintenant, une petite surprise !

Déformation professionnelle (j'en ai révisés, des mémoires universitaires !) oblige : je n'ai pas pu m'empêcher de revoir quelque peu le texte controversé de Nathalie Dolivo, non pas que son papier n'ait pas été bien écrit, mais juste histoire de clouer définivement le bec à tous ses détracteurs. Et puis, parce que je n'étais pas forcément d'accord avec tout. Cela dit, ce ne sont que des retouches mineures, portant surtout sur le paragraphe controversé autour du couple Obama, dont je pense moi-même qu'il n'a - question de génération - aucune incidence sur la mode telle que pratiquée par les (jeunes) égéries rassemblées sous le label "Black Fashion Power". C'est la raison pour laquelle j'ai opté pour une "exfiltration" du paragraphe concernant Michelle Obama, sous la forme d'une mise en exergue, à l'instar des deux paragraphes sur l'Afro en tête et Julia Sarr-Jamois.



Le Black Fashion Power (nouvelle mouture)

Le « red carpet » ? Appellation dépassée ! Ces derniers temps, l'heure est au « black carpet (**) ». Une génération de jeunes femmes noires, souvent afro-américaines, truste en effet les premières places du baromètre fashion mondial. Et le phénomène est sans précédent. En haut de l'affiche, la bombe manga Nicki Minaj a provoqué une véritable défla­gration : ses looks explosifs, ses mix improbables, ses che­veux pink ont mis le feu au fash pack. Ils rendraient Lady Gaga presque fadasse en comparaison et font se pâmer les rédactrices de mode, la puissante Anna Wintour au premier chef. Mais Nicki est loin d'être la seule à faire tourner les têtes branchées. Voici Janelle Monáe, petite silhouette androgyne et fifties toujours affublée d'un costard, d'une banane rockab(illy) et d'une sage chemise preppy. Sa musique soul fait danser les foules et son allure fascine Karl Lagerfeld. Et puis Solange Knowles, sœur de Beyoncé, qui, à la différence de son aînée, maîtrise parfaitement les codes les plus pointus du moment. Sa spécialité ? Un savant dosage d'ethnique et de preppy qui la rend irrésistible. Sa noto­riété, elle la doit plus à son sens du style qu'à sa musique. Citons aussi Kelly Rowland, ex-Destiny's Child, et Azealia Banks, rappeuse de Harlem et sensation du moment, qui a su imposer son cocktail régres­sif : sweat-shirt Mickey, nattes de petite fille, microshorts. Zoé Saldana, actrice, tient égale­ment parfaitement son rang. Rihanna, quant à elle, est loin d'avoir pris sa retraite mode et continue d'être in. Elle vient d'ailleurs de signer une mini­collection avec Armani et la moindre de ses apparitions est scrutée à la loupe. La liste exhaustive serait trop lon­gue... "Voilà une génération de filles qui s'expriment par autre chose que par les codes du sexy.", note Olivier Cachin*, fin spécialiste des musiques black et de la culture afro-américaine. "On est sorti des références bling du R'n'B et du hip-hop de ces dernières années. Ce sont des filles à forte personnalité qui ne sont pas un plaqué de fantasme masculin.". Chacune dans leur style et à leur manière, elles sont donc peut-être en train de réinventer le « girl power » et d'envoyer bouler leurs mentors hip-hop, ceux qui avaient tant de mal à voir les filles autrement que comme des potiches en string et décolleté. "Aujourd'hui, je veux avoir l'air pointu, différente et inattendue.", confiait récem­ment Rihanna au journal « The Observer », illustrant cette volonté de se démarquer par le vêtement.

Dans une société obsédée par l'image, ces filles ont donc compris, mieux que quiconque, l'importance du look. On pourrait même dire que, pour la jeune communauté afro, le vêtement est (re)devenu une arme politique. Jon Caramanica, journaliste au « New York Times », affirmait récemment dans un article consacré à cette renaissance noire que « ce retour au style constituait pour la communauté noire une source de dignité ».

Comme dans les années 30, le mouvement Cotton Club, les costumes de jazzmen et les robes charleston. Et dans les années 60, le combat pour les droits civiques, le black power, la classe ineffable et inégalée d'une Angela Davis. Mais, si, en 2012, la "blackgeoisie" a intégré tous les codes "mainstream", elle ne le fait pas de manière littérale. C'est toujours classique avec un twist, bourgeois avec une référence ethnique (un boubou en wax, un collier coquillage, une créole de rappeur...) qui rappelle les racines. C'est décalé, nouveau, désirable, puissant. « En cette période de crise mondiale, il y a un vrai besoin de fun et de créativité, reprend Olivier Cachin. Des Nicki Minaj ou des Janelle Monáe, originales et fortes visuellement, qui répon­dent totalement à cet air du temps difficile et anxiogène, en sont comme l'antidote. »

Les voilà donc icônes d'aujourd'hui. La mode les fait reines, assouvissant ainsi son besoin constant de se renou­veler. Lorsque les tendances patinent, la fashion se tourne toujours vers la rue. Ce fut le cas dans les années 80, les défilés Gaultier, la culture Benetton, le début du hip-hop. C'est de nou­veau le cas : la rue, et la culture afro en parti­culier, semblent constituer un inépuisable vivier d'idées. « À New York, explique Sylvia Jorif, chef des infos mode à ELLE, le phénomène est fou ! Une classe moyenne noire a émergé et joue avec la mode. Ce sont bien souvent des looks désuets, vintage, avec une connotation artistique et musicale. Tout est toujours un peu exagéré : le dress code Hamptons est +++, le vestiaire Ivy League est boosté. C'est souvent drôle mais jamais ridicule. Et ce sont de formidables leçons de style ! » On n'a pas fini de s'inspirer de ce fashion black power ! n.do.
* Auteur de « Prince, Purple règne » [éd. Fetjaine].


LA MICHELLE OBAMA TOUCH

Difficile de passer à côté de cette nouvelle venue dans le paysage : la First Lady. Dans cette Amérique dirigée pour la première fois par un président noir, le chic est devenu, en tout cas parmi la "blackgeoisie", une option plausible pour une communauté jusque-là en panne de référents forts et hésitant entre une mode bourgeoise et un peu trop rangée, sans accroches identitaires, d'une part, et le côté pétillant et débridé d'une  jeunesse qui restait obstinément arrimée à ses codes streetwear, d'autre part. La First Lady Michelle a incontestablement apporté sa touche personnelle, misant sur des marques pointues, transcendant les robes trois trous, allant même jusqu'à revisiter, en mode jazzy, le vestiaire de Jackie Kennedy. Bref, l'audace et la créativité se sont réveillées ; le preppy a de nouveau droit de cité.


L'AFRO EN TÊTE

Emblème de cette tendance, l'afro fait un retour en force sur la tête des filles les plus lancées. Inna Modja ou Solange Knowles ont réhabilité ce qui était jusque-là marqué du sceau des 60's. Comment oublier Angela Davis ? On pense aussi à Diana Ross ou à Sly and the Family Stone. Aujourd'hui, les filles à afro s'appellent des « nappies », soit la contraction de « naturel » et de « hippy ». C'est un retour aux sources de la beauté noire. Une manière d'affirmer son refus de tout ce qui contraint la femme noire : lissage, blanchiment. Elles sont blacks et fières de l'être !

JULIA SARR-JAMOIS LA IT GIRL QUI BUZZE 

Ces dernières fashion weeks, on ne voyait qu'elle : Julia Sarr-Jamois n'a que 23 ans et s'est imposée en quelques mois. Elle pourrait être mannequin, mais elle est rédactrice de mode pour le magazine britannique et fashionissime « Wonderland ». Et, avec elle, le défilé est... devant les défilés !


(**) Inspired by the surprising revival of tailored glamorous silhouettes on the international runways, Faber-Castell Cosmetics is launching two elegant and extravagant make-up concepts, Red Carpet and Black Carpet, as a tribute to past and present movie and fashion icons.




(1) Lu sur un forum de discussion (afrosomething) : original en anglais + ma traduction.


Emma

Poor Nathalie Dolivo.This goes to show that people will twist anything you say as they please. Who these days doesn't know that black people are mostly identified with street wear and portrayed as such from the music scene to movies? You really have to be so hypocritical to deny this. In fact, this black-fashion became a cliche, not because of Nathalie Dolivo but because it was used and abused in the media constantly and adopted by White people. If anything, Nathalie Dolivo' article shows the good influence of the Obamas on the way Black people are perceived. It was high time this happened. American loves to prone freedom, but when exactly did slavery end? It was disgraceful and I'm only using this term to be polite to relegate the Black community to the rank of second-class citizens. And this is what Nathalie Dolivo is pointed at. Yes, the Obamas dress with style and know how to use traditional 'White fashion' with an ethnic twist. This is exactly what I think and what my friends think to when we see the Obamas and no doubt it is intentional on their part. Nathalie Dolivo's article was interested (interesting!) because it hinted at the relative racism which exists to this present day in the States towards Black people. In fact, even saying 'Black people' might now be considered offending because people are so concerned about pretending that they are not racist. I call a cat a cat. A black person is black, a white person is white. As society mixes more and more, cultural differences tend to disappear while at the same time, we like to keep some of our traditions and ways alive for this precise reason. At the end of the day, we are all human beings, no matter what color, but this doesn't mean that we all have the same skin color or that we shouldn't have the right to talk about differences in dress code. A lot of people here are simply jumping straight into the oh so convieniently provided trap. How ridiculous and pathetic. It reminds me of another typical US thing, the 'politically correct' nonsense. Get real. Avoiding certain topics will not change them. It's precisely by talking about them that things will start moving. Well done Nathalie Dolivo. You treated this topic well and without any form of racism at all. The racists are all the one who like to give themselves a clear conscience at the expense of those who have a clear conscience.

Pauvre Nathalie Dolivo. Tout cela nous montre que, quoi que vous disiez, les gens vont le retourner pour vous faire dire ce qu’ils veulent que vous disiez. Qui de nos jours ne sait pas que les Noirs sont, pour la plupart, identifiés comme porteurs de streetwear et dépeints en tant que tels tant par la scène musicale que le cinéma ? Il faut être particulièrement hypocrite pour le nier. En fait, cette mode noire est devenue un cliché, pas à cause de Nathalie Dolivo, mais parce qu’on en a usé et abusé en permanence dans les médias et du côté des Blancs. Ce que l'article de Nathalie Dolivo nous montre, c’est la bonne influence des Obama sur la façon dont les gens de race noire sont perçus. Il était temps que cela arrive. Les Américains prônent volontiers la liberté, mais de quand exactement date la fin de l'esclavage ? C’était un honte  - et je n’utilise ce terme que pour rester polie - que de reléguer la communauté noire au rang de citoyens de seconde classe. Et c'est ce que Nathalie Dolivo a pointé du doigt. Oui, les Obama s’habillent avec style et savent comment utiliser la « mode blanche traditionnelle » associée à une touche ethnique. C'est exactement ce que je pense et ce que mes amis pensent quand nous voyons les Obama et c'est sans doute intentionnel de la part de ces derniers. L'article de Nathalie Dolivo est intéressant (et pas "intéressé") en ce sens qu'il fait allusion à un racisme diffus qui existe encore de nos jours aux États-Unis envers les Noirs. En fait, même le terme « Noirs » pourrait désormais être considéré comme péjoratif parce que les gens sont tellement obnubilés par le souci de ne pas passer pour des racistes. J'appelle un chat un chat. Une personne noire est noire ; un Blanc est blanc. Et comme la société tend de plus en plus au mélange, les différences culturelles ont tendance à disparaître tandis que, dans le même temps, nous nous attachons à garder vivaces une partie de nos traditions et de nos modes de vie, pour cette raison précise. En fin de compte, nous sommes tous des êtres humains, quelle que soit notre couleur, mais cela ne signifie pas que nous ayons tous la même couleur de peau ou que nous ne devions pas avoir le droit de parler des différences dans le code vestimentaire. Beaucoup de gens ici sont tout simplement en train de sauter à pied joints dans un piège tellement béant. Comme c’est  ridicule et pathétique ! Cela me rappelle une autre chose typique aux États-Unis, le non-sens « politiquement correct ». Soyons objectifs. Eviter certains sujets ne va pas changer les choses. C'est précisément en en parlant que les choses vont commencer à bouger. Bravo à Nathalie Dolivo. Vous avez correctement traité ce sujet et sans aucune forme de racisme du tout. Les racistes sont ceux qui cherchent à se donner bonne conscience au détriment de ceux qui ont une conscience claire des choses.




Prochain épisode : C'est l'histoire d'une acculturation